PRÉAMBULE
La kinésiologie tend à reconnecter le vivant au vivant, en mettant en lumière (conscience) les idéologies (systèmes de croyance) qui nous dominent. La kinésiologie met comme point de départ non pas la pensée mentale mais le ressenti du corps, générateur d’émotions, pour, en dernière étape, permettre de faire des liens justes pour soi et structurer, avec le mental, une pensée incarnée. La kinésiologie reconnaît la trinité corps-cœur-mental pour l’unifier en un tout cohérent, à la base du vivant. Bien-sûr on peut vivre de manière avortée (aliénée), soit sous la dominance de son mental, ou de son corps, ou de son cœur. La kinésiologie nous fait ressentir à quel point cela est du domaine de la survie, pas du vivant.
Que me dit la kinésiologie, en tant que thérapie psycho-corporelle et thérapie de développement personnel, sur les évènements extérieurs de ma vie et du/de mon monde ?

 

Point de départ : imposition en Suisse du masque aux classes primaires dès la 5H (8-9 ans).
Ayant des doutes certains sur la politique sanitaire imposée sans discussion contradictoire à toute la population de manière unilatérale et standardisée; ayant un vécu certain avec l’idéologie de marché qui se cache derrière toutes les standardisations imposées aux populations, m’est venu ce lien entre hier et aujourd’hui sur la maltraitance enfantine imposée de manière indirecte, voire invisible, par l’idéologie de marché, du rendement, de l’argent ; imposée au monde depuis fort longtemps, et de plus en plus visible et détectable depuis la révolution industrielle.
C’est l’incompréhension de mon entourage face à l’imposition du masque aux moins de 10 ans, considéré comme un moindre mal face à la condition des enfants des usines du 19eme siècle, qui m’a poussée à mettre par écrit mon ressenti. Comme l’a dit en substance Einstein, « la solution à un problème donné se trouve toujours sur un autre plan que le problème lui-même ». La maltraitance d’hier forcée par la logique du marché concurrentiel, qui ne répond qu’aux lois du mental dans sa toute puissance, fait miroir, sur un autre plan, à la maltraitance d’aujourd’hui, dominée par une idéologie technocratique coupée du corps et du cœur.

 

 

HIER ET AUJOURD’HUI: Maltraitance des enfants

J’ai 6 ans, je m’appelle Jacques. J’habite près de la rivière, sur un méandre, une île presque, là où il y a la filature. Il y en a beaucoup des machines à l’usine, et des grosses. Elles tournent grâce à la rivière. Des bobines qui tournent en continu, elles ne s’arrêtent jamais, comme la rivière, sauf quand elles se cassent. Ça c’est notre travail, à nous les enfants. Parce qu’on est petits on peut aller se faufiler entre les bobines, sous les machines, et on arrive parfois à décoincer le fil, ou resserrer une pièce. Parfois quelques coups de marteau suffisent.

Nos parents travaillent dans l’usine. On les aide souvent. L’usine est petite, il y a beaucoup de machines serrées les unes à côté des autres, et se déplacer dans ce dédale de moteurs, de courroies et d’engrenages n’est pas facile pour un adulte. Pour un enfant pas toujours non plus, mais on y arrive mieux, on est plus petits, et plus souples. Et tant que la machine est arrêtée, c’est facile. Il arrive qu’une bobine se décroche et nous bloque la jambe, ou le bras. Là c’est dangereux. Un petit de mon âge, Mathieu Belmont, n’a pas réussi à retirer sa manche, aspirée dans un rouage par l’air provenant du mouvement des courroies et des chaînes. Il a perdu la moitié de la main, et ils ont dû la lui couper jusqu’au poignet. Le directeur a été obligé de renvoyer toute la famille de l’usine, parce que ça mettait tout le monde mal à l’aise, de voir Mathieu et son moignon. Les parents commençaient à ne plus vouloir que leurs enfants aident à l’usine tant que les machines tournent. Il y a eu des discussions violentes. Un soir un groupe d’adultes a traversé le bras de la rivière et est monté jusqu’à la maison du directeur pour lui parler. Il y avait des gens importants avec le directeur, il était très gêné, les autres aussi mais ils étaient en colère. Depuis que le directeur a renvoyé les Belmont, tout est rentré dans l’ordre, c’est beaucoup plus calme, on en parle plus.

 

On habite dans les maisons à côté de l’usine. Elles sont jolies les maisons, mais on est beaucoup et il n’y a pas toujours assez de place pour tout le monde. Les familles les plus anciennes peuvent utiliser les logements du rez ou du premier. Ce sont des logements avec de grandes fenêtres et des vitres. Ceux du deuxième étage et sous les toits n’ont pas de vitres, et souvent plusieurs familles s’y entassent, les nouveaux. L’hiver il faut bloquer les fenêtres avec des torchis ou du carton, et toujours avoir des chandelles à disposition car il fait nuit tout le temps, même en plein jour. En plus il fait froid là-haut. Mon ami Bernard y habite, ils sont arrivés l’année passée. L’été on aime jouer sous la charpente car on peut chasser les familles de pigeons qui y ont élu domicile, mais l’hiver il fait tellement froid que même ses parents préfèrent dormir dans l’entrée de l’usine sur un matelas. Moi j’ai de la chance, je vais à l’école. Tous les enfants de moins de 14 ans sont obligés d’aller à l’école le matin, c’est Monsieur le maire qui l’a dit au directeur. Alors le directeur nous a offert une école à l’usine, il avait pas le choix. Il a dit qu’au moins, en allant à l’école, on sera des bien meilleurs ouvriers que nos parents. Avant l’école, j’aide ma mère sur le métier à tisser. Et quand je rentre de l’école à 11 heures, je dois enfiler jusqu’à ce qu’il fasse sombre ; parfois, quand le travail est urgent, je suis même obligé d’enfiler jusqu’à onze heures du soir.

Ma grande sœur Marie fait le ménage dans la maison du directeur. C’est une grande maison au sommet de la colline, avec une tour qui surplombe notre île. Marie a 14 ans et elle est très belle. Le directeur a été assez gentil pour la prendre à son service chez lui, parce que Marie perdait la vue à force d’enfiler toute la journée sur les vieux métiers dans les caves de l’usine. Son dos aussi la fait souffrir. Elle a l’air tout le temps abattue, avachie. Alors mon père a demandé au directeur s’il pouvait la laisser travailler sur un nouveau métier du rez, à la lumière du jour. Mais ils coûtent cher ces nouveaux métiers, et le directeur a refusé. Il a proposé qu’elle travailler le matin chez lui. Je crois qu’il l’aime bien, elle a de la chance, et elle va beaucoup mieux depuis qu’elle enfile moins dans la cave.

 

Mes parents nous ont dit qu’on devait être contents de tous avoir du travail à l’usine, et moi d’aller à l’école. Tout ça grâce au directeur et à Monsieur le maire. Qu’il fallait bien leur obéir et faire tout ce qu’ils nous demandaient, parce que c’était pour notre bien. Ils nous ont dit que sans eux, on serait obligés de partir pour la ville pour trouver du travail, parce que dans la région il n’y a rien d’autre. Et que la ville c’est cher, et qu’on devrait tous travailler plus et sans doute séparés. Ils nous ont même dit, à ma sœur et moi, qu’ils étaient bien contents de nous avoir avec eux parce qu’avec des enfants, ils ont plus de chance de trouver un travail dans une filature. Même que le directeur il a refusé du travail trois fois le mois dernier à des gens sans enfants. L’industrie a besoin de nous qu’il a dit, parce que les enfants ça travaille bien et ça coûte moins cher. Il parait qu’on est spéciaux, ma sœur et moi, que les riches ils ont besoin de nous pour faire concurrence aux filatures étrangères. C’est le pouvoir de l’économie qui décide tout ça pour nous. Et si l’économie elle est contente, alors nous on vit bien, et nos parents sont heureux. Mais si on désobéit, alors l’économie elle se fâche et nos parents ils perdent leur travail. Moi j’ai pas bien compris qui c’est l’économie, mais je ne veux pas que mes parents perdent leur travail, parce que ça fait pleurer maman. Alors je vais faire tout ce qu’elle me dit l’économie. C’est Monsieur le directeur qui parle avec l’économie, et nous dit ce qu’elle veut. En plus de Monsieur le directeur, qui s’y connaît déjà pas mal, il y a les savants de l’économie qui écrivent dans le journal ce qu’il faut faire. Même que la maîtresse nous a lu un article à l’école la semaine dernière. Comme quoi les enfants étaient précieux pour l’économie du pays, et les femmes aussi, parce qu’ils travaillent dur et ont des salaires bas. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire, mais je ne veux pas fâcher l’économie si ça peut aider mes parents. Et même si je suis parfois fatigué de faire tout ce que l’économie veut, et que je préfèrerai jouer dans la rivière l’été, je vais quand même enfiler dans la cave le matin avant l’école et le soir. Parfois quand je m’endors j’ai mal aux yeux comme Marie, et mes doigts me font mal. Souvent aussi je me blesse en essayant de décoincer une machine, mais je ne dis rien à personne pour ne pas inquiéter mes parents et leur faire du souci. Ils en ont déjà assez. Alors j’essaie de m’endormir vite pour être en forme le lendemain, mais je fais de plus en plus de cauchemars. Je rêve des machines qui grandissent et me mangent la main comme à Mathieu.

 


Depuis la rentrée je dois porter un masque tous les jours à l’école, et me laver les mains tellement souvent que j’ai arrêté de compter. J’ai 8 ans mais je n’aime pas porter un masque, parce qu’avec le masque je n‘arrive pas bien à parler, ni à respirer. Et la maîtresse non plus n’aime pas quand on a le masque parce qu’elle ne comprend pas ce qu’on dit, et nous non plus on ne comprend pas bien ce qu’elle dit. Elle s’énerve beaucoup plus, ça doit être dur pour elle de voir tous ses élèves masqués, rien que pour nous reconnaître ça doit être dur. Et pourtant c’est elle qui nous remonte le masque quand il tombe, et nous force à mettre du désinfectant sur nos mains. Même que l’autre jour, Laeticia elle avait tellement mal aux mains qu’elle a hurlé lorsque la maîtresse lui a mis de la crème dessus. Elle avait des crevasses partout sur ses poings, et du sang qui sortait sur les os. On aurait dit qu’elle avait trempé ses poings dans l’eau bouillante.

Mon voisin Mateo il se fait toujours gronder parce que son masque est tout mouillé, plein de moque. C’est normal parce que c’est l’hiver et Mateo il a le rhume, et quand il a le rhume Mateo, il a toujours le nez qui coule. Mais la maîtresse elle ne nous laisse plus nous moucher, juste une fois le matin et une fois l’après-midi. C’est comme avec les permissions pour enlever le masque en dehors des récrés. On peut une fois le matin et une fois l’après-midi. La maîtresse elle ouvre les fenêtres, et on peut tous aller y respirer sans masques. Ça chatouille car l’air est froid et on a plus l’habitude, ça colle les narines. Moi j’essaie toujours de demander pour respirer une seule fois le matin, comme ça la maîtresse elle me laisse plus aller à la fenêtre l’après-midi. Je préfère me retenir de respirer le matin pour pouvoir respirer plus l’après-midi, parce que le matin je suis plus en forme. Sauf quand on a la gym le matin. C’est le plus dur, les cours de gym, parce que la maîtresse, elle nous resserre les ficelles pour pas que le masque tombe. Alors on ne peut plus le baisser discrètement. J’ai même déchiré mon masque deux fois parce que les ficelles, elles étaient trop serrées. J’ai dit que c’était Mateo qui avait tiré sur mon masque. Il a protesté mais la maîtresse elle n’aime pas beaucoup Mateo, surtout l’hiver. Et il a plus l’habitude de se faire punir et d’aller au coin. Moi je n’aime pas me faire gronder par la maîtresse, je n’ai pas l’habitude. Je suis un bon élève, les maîtresses elles m’ont toujours bien aimé. Et Mateo, elles ne l’ont jamais bien aimé parce qu’il parle tout le temps, enfin surtout avant, avant les masques. Alors maintenant, même s’il ne parle plus, elles ne l’aiment quand même pas, et donc il a l’habitude d’être grondé, et d’aller au coin.

Mes parents ils sont contents que je sois un bon élève, alors moi aussi. Ils m’ont acheté une Play station pour Noel, j’étais trop content. J’ai plein de jouets dans ma chambre, ils disent que je suis leur trésor. Avec ma petite sœur aussi, mais elle, c’est encore un bébé, elle comprend pas ce que c’est un trésor. Mes parents ils me disent que c’est important de mettre le masque et de me laver les mains, parce que je peux avoir une maladie qui ne se voit pas sur moi mais qui peut tuer papy et mamie. Moi je ne comprends pas comment ça peut tuer papy et mamie et rien me faire, mais ils me disent que c’est possible, parce que les virus c’est très petit et ça se voit pas. Et donc si moi je suis aussi petit, ça se voit encore moins, enfin je crois. Je n’ai pas très bien compris, mais plus on grandit, plus on voit si tu as le virus. Si tu l’as alors tu deviens un cas et tu deviens dangereux pour les autres quand tu deviens un cas. Il y a eu beaucoup de cas dans ma classe. On doit les éviter et plus leur parler, jusqu’à ce qu’ils redeviennent normaux. C’est dur à dire qui est un cas parce qu’il n’y a rien qui change, les copains qui sont des cas ils sont la même chose que quand ils sont pas des cas. Mais y parait qu’ils peuvent tuer les adultes juste en étant à côté d’eux. Alors pourquoi la maîtresse elle est toujours en vie ?

Bref moi ça me plaît bien ce covid, c’est comme si j’avais un super pouvoir, mais juste que je vais jamais l’utiliser. Pour les méchants peut-être, mais pas contre papy et mamie. Ah ça non! Papy et mamie ils sont déjà si vieux que c’est un miracle qu’ils soient encore en vie, j’ai lu ça dans le journal. Même que le journal il disait que si tout le monde obéit aux règles du covid, surtout les enfants, alors il n’y aurait bientôt plus personne qui meurt, et l’économie pourra repartir. Et ça je vois bien que ça fait plaisir à mes parents, de savoir que l’économie pourra repartir. Peut-être qu’une fois que l’économie elle sera repartie chez elle, alors mes parents ils pourront moins lui obéir et plus jouer avec moi après l’école ? Pour l’instant je vais à la crèche tous les jours après l’école, jusqu’à ce que maman vienne me chercher le soir. Et papa je ne le vois quasiment pas durant la semaine, mais on fait toujours un truc ensemble le dimanche après-midi.

Ce que je ne comprends pas c’est que si plus personne ne meurt parce qu’on obéit tous aux règles du covid, surtout les enfants, alors bientôt il y aura beaucoup trop de monde sur la Terre ? C’est le journal qui disait qu’il n’y aura plus de place pour tout le monde, plus rien à manger, et plus d’électricité. Alors moi je me suis dit que peut-être il faudrait laisser les enfants utiliser leur super pouvoir pour faire de la place. Mais là c’est sûr qu’aucun enfant ne voudra utiliser son super pouvoir contre ceux qu’il aime et qui l’appellent trésor. Il ne restera que les maîtresses, mais je suis pas sûr que ça fera assez de place.

 

Mes parents ils m’ont aussi dit que si j’avais le covid, donc si j’utilisais mon super pouvoir, et bien ils ne pourraient plus aller travailler et on risquait de tout perdre, la voiture, la maison, et même la Play station. Quand il dit ça, même que maman elle s’est mise à pleurer. Alors là c’est sûr que je ne veux pas utiliser mon super pouvoir. Ils m’ont dit que je pouvais les aider si je faisais tout ce qu’ils me disaient et tout ce que la maîtresse me disait, se laver les mains, bien garder le masque sur le nez, éviter d’être trop proche avec mes copains, éviter tout le monde. Les filles je m’en fous je joue jamais avec, c’est des filles. Même papy et mamie il fallait plus aller les voir. Parce que c’est dangereux pour eux, et pour le travail de papa et maman. Moi j’ai dit à papa maman que j’abandonnais volontiers mon super pouvoir pour revoir papy et mamie et pour qu’ils aient toujours du travail, mais ils m’ont dit que c’était impossible, le covid une fois que tu l’as, tu ne peux plus t’en débarrasser. Tu peux juste mettre un masque et éviter de voir papy et mamie, et tous les vieux, et même les copains. Bref il faut plus voir personne et toujours mettre un masque quand tu sors de la maison. Moi j’ai peur de sortir de la maison maintenant, parce que j’ai peur d’oublier de mettre un masque et de croiser mamie ou papy. Alors je préfère ne pas prendre de risque, et ne plus sortir de la maison sauf quand je dois aller à l’école. Mais c’est quand même dur de rester à la maison tout le temps et plus voir les copains, même si j’ai une Play station. Surtout quand il fait beau. Le soir, quand je suis dans mon lit, je prie et je demande à l’économie de repartir le plus vite possible, pour qu’on puisse enlever les masques et revoir nos amis. Même que je fais souvent le même cauchemar depuis quelques semaines : je rêve que moi aussi j’ai des gerçures et du sang qui coule, comme Laeticia, mais au lieu que ce soit sur mes mains, c’est tout autour de ma bouche, sous mon masque, et alors je ne peux plus jamais ouvrir la bouche.

Cinq semaines jour pour jour que nous avons atterri à Zürich Kloten, vol Singapore Airlines HK-Singapore-Züri. Un vol désastreux, je me suis sentie mal, yeux rougis, peau piquée et blafarde, jambes et dos douloureux, dégoût de nourriture, bourdonnement, sifflement…Je me suis sentie mal à l’intérieur et à l’extérieur, et les 5 films creux que j’ai regardés pour tuer le temps n’ont pas aidé. Ma tête non plus ne m’as donné aucun répit. Pourquoi rebrousser un si beau et long chemin de façon si inhumaine, amputer l’aventure du happy end qu’elle méritait? Bref, je mets en intention de ne voyager plus qu’à mon rythme humain plutôt qu’à celui technologique.

Bien-sûr ici rien n’a changé, Charrat s’écrit toujours avec deux « r » et un « t » muet, la maison nous attend en bon soldat de pierre, Mouf s’est remise de ses peurs et me rend les clés de notre paradis. Et tout a changé, août est définitivement terminé, le jardin à peine gelé, Noël semble surgir de nulle part et il faut remettre la table et enlever la table indéfiniment. Nous sommes les 4 dans notre bulle, ensemble et séparés, à nous guetter du coin de l’œil dans l’attente du premier, ou de la première, qui craquera, qui criera son désarroi ou sa joie d’être de retour. Personne ne s’y colle, le cœur n’y est pas, ni à la joie, ni au désespoir. Nous sommes entre les deux, entre deux mondes, celui d’ici et celui d’ailleurs, et nous resterons dans cet entre-deux 5 jours durant, entre les longitudes, entre le sommeil et la veille, la nuit et le jour, la Chine et le Valais, à ripoliner notre nid tel les marmottes sous la neige qui fait cruellement défaut. Le jour de l’anniversaire de Shems nous oblige à sortir de notre léthargie. Nous retrouvons les CC qui débarquent eux-aussi de New Delhi la puante, heureux et satisfaits d’amour et d’air frais, comme à leur habitude. Puis ça n’arrête pas, la famille, les cousins, les amis. Notre maison s’ouvre et se referme au gré des visites, ça cuisine, chauffe, nettoie, réchauffe et rénove à tours de bras. On se trouve, l’espace de 10 jours, exactement là où on a toujours voulu être avec ce projet de maison : ouverts sur le mode extérieur en cultivant un monde intérieur lumineux et chaud. Puis revient la routine du boulot-école-dodo. Les lumières s’éteignent plus tôt, il y a moins de rires, plus d’ordres et de héla, il fait toujours chaud mais la cadence de la cuisine et du feu est plus rythmée, plus mécanique, moins légère, plus exigeante. On retourne tous à l’école, l’insouciance et l’arythmie du séjour en Chine nous semble bien loin. Est-ce nous qui avons retourné notre veste et rejoint les rangs des bons soldats besogneux, ou est-ce l’énergie du lieu qui nous plombe ? Sans doute les deux, impossible à dire pourquoi nous nous sentons éteints, et en même temps à notre place dans cette maison que nous avons choisie.

Une théorie de mon ami fou Ed donne du sens à ce questionnement. Dans un village de transit, construit et développé le long d’une voie de communication, les cafés et bars le long de la route sont toujours, peu importe le lieu, des endroits chauds et accueillants pour le voyageur de passage, mais très vite plombant pour l’habitant. L’énergie de transit est compensée par une énergie très sédentaire, trop sédentaire. Les habitués de ces lieux sont souvent des piliers de bar qui n’en décollent pas, plus. Le voyageur qui traverse la bourgade et s’y arrête trop longtemps risque de ne plus jamais repartir. Les deux énergies, de transit et sédentaire, doivent s’harmoniser pour maintenir un équilibre plus global. Pas étonnant alors que dans ces dits-bars on retrouve souvent les mêmes habitués, qui consomment la même chose, avec les mêmes personnes, aux mêmes heures, voire à toutes les heures, et quelques personnes de passage qui alimenteront les discussions de ces habitués de la même manière, semaines après semaines. A une échelle plus grande, la Suisse fait office du café du Centre de l’Europe. Au cœur des voies nord—sud et est-ouest, la Suisse est le petit café dans lequel on s’arrête lorsqu’on ne peut plus continuer la route, lorsqu’on a crevé et qu’on attend le dépanneur, lorsque la tempête fait rage, lorsqu’on est trop fatigué ou affamé, lorsqu’on ne sait plus où aller. On s’y arrête pour se recharger et reprendre sa route, son projet, son rêve. Ou on s’y arrête et on ne repart plus, la force de sédentarisation est trop forte et nous capture, nous enracine, nous plante. La résonnance entre ces deux énergies est ce qui déstabilise lors d’un retour au pays des helvètes, lorsqu’on a ces deux énergies en soi. Le défi est de réussir à les harmoniser sans se soumettre à l’une au détriment de l’autre : faire pour se sentir vivant ou s’arrêter pour être dans la Vie…demeurer ouverte au monde extérieur qui bouge tout en cultivant son monde intérieur lumineux et chaud…la balance entre le ying et le yang, beau programme.

Aux questions de comment était ce voyage, je ne sais que répondre. Beaucoup de Chinois en Chine…c’était très beau, beau pays…c’était super, mais aussi dur parfois…des pâtes au nord, du riz au sud…Puis je me rends compte de la chose suivante : la Chine est le pays le plus sécurisé que j’ai connu, voire qu’il existe. Des caméras partout, des contrôles d’identité et reconnaissance biologique partout, ça facilite la sécurité, c’est sûr. Apparemment la police peut retrouver un voleur à la tire en 11 minutes au centre de Pékin, 24 millions d’habitants quand même…Dans ce contexte, lorsque la sécurité est garantie, et sans obligations domestiques, professionnelles, personnelles ou scolaires, la barrière entre enfant et parent s’étiole. Il n’y a plus de différence entre moi et les enfants, ils sont juste différents, moins expérimentés certes, mais tout aussi perspicaces, curieux, intelligents et clairvoyants (voire plus, ils suivent encore l’instinct de la simplicité, du cœur, plutôt que la tête). Nous nous retrouvons donc 4 êtres humains avec des désirs et peurs, deux avec un porte-monnaie qui n’a pas tous les pouvoirs, et deux avec suffisamment d’imagination pour se suffire à eux-mêmes sans porte-monnaie. Dans cette situation, le choix est binaire : soit on se prend le chou et on se cherche des poux les uns aux autres, soit on prend du plaisir ensemble, et séparés. On aura fait les deux : on se sera gâché des plaisirs simples par peur, peur de passer à côté de quelque chose, peur de ne pas être à la hauteur, de perdre du pouvoir, peur de l’autre, et on aura eu (beaucoup) de plaisir ensemble, à deux, à trois, ou seul mais côte à côte. C’est en étant privés de toutes distractions, obligations, devoirs, responsabilités superflues, biens matériels largement inutiles, soucis matériels engendrés par les biens matériels superflus…bref en étant réduits à l’essentiel, nus les uns face aux autres, que nous avons pu expérimenter nos enfants comme nos égaux, et l’autre pour ce qu’il est. Ça n’a jamais été le but du voyage, ni espéré ni même rêvé, mais ça a été la grande surprise de ces 4 mois passés ensemble hors de notre monde.